Intel fête un anniversaire, celui des 50 ans de la loi de Moore. De quoi s’agit-il ? Voici une brève histoire du processeur.
A l’occasion des 50 ans de la loi de Moore, Intel propose une infographie sur l’histoire du processeur, un voyage dans le passé pour soutenir l’idée d’aller de l’avant pour innover…
C’est en 1965, le 19 avril pour exacte que Gordon Moore, alors directeur R&D chez Fairchild Semiconductor et futur co-fondateur d’Intel, livre ses observations sur le taux de croissance exponentiel des circuits. Il constate alors que depuis 1959, un doublement régulier des composants électroniques. Il extrapole alors que cette course ne va pas s’arrêter et que la tendance va se poursuivre dans les années suivantes avec des composants non seulement de moins en moins chères à produire mais aussi plus performants et économes en énergie. Sans le deviner à l’époque, il met sur pied « une miniaturisation rythmée » des circuits intégrés (ou transistors) des processeurs.
Intel conçoit dans ses laboratoires les 4004 en 1971 tandis que 1975, l’hypothèse de Gordon Morre se vérifie presque intégralement et depuis, après une révision de sa régularité (passage de un à deux ans), la « loi de Moore » devient une tendance générale. Il ne s’agit pas du loi physique, démontrée ou démontrable mais d’une tendance qui est devenue le fil conducteur de l’ensemble de l’industrie des semi-conducteurs qui se fait un devoir d’aller aussi vite que le rythme prédit.
Intel donne quelques chiffres. Le premier microprocesseur, le 4004, comptait 2300 transistors alors qu’un Core i5 de cinquième génération en dénombre 1,3 milliards. En 1965 les transistors étaient gravés à l’échelle du 10 000 nm alors qu’ils sont désormais en 14 nm. Les premiers transistors avaient la taille d’une gomme de crayon tandis qu’ils sont aujourd’hui invisible à l’œil nu. Un Core i5 e de cinquième génération est 3500 fois plus performant qu’un 4004 mais sur 90 000 fois plus efficace sur la partie énergétique.
En appliquant cette évolution à celle de l’efficacité énergétique du carburant une personne pourrait aujourd’hui conduire sa vie entière avec un seul réservoir. Si le prix de l’immobilier avait chuté avec la même rapidité que celle du coût des transistors, une personne pourrait s’acheter une maison pour le prix d’un bonbon. Enfin si l’on devait aujourd’hui utiliser les technologies de 1971 pour fabriquer un smartphone, le seul processeur aurait aujourd’hui la taille d’une place de parking le tout avec une autonomie en secondes.
Interview de Gordon Moore Fournie par Intel – 12 mars 2015 – .
Q : Comment en êtes-vous arrivé à l’idée que le nombre de transistors sur une puce doublerait chaque année ?
R : Au début des années 60, nous développions la technologie des semi-conducteurs en essayant la rendre applicable concrètement. Cette technologie était très difficile à implémenter avec les outils que nous avions à l’époque. Je suis devenu à cette époque directeur de la recherche et du développement de Fairchild Semiconductor, et je dirigeais alors le laboratoire qui explorait les différentes possibilités à mesure que nous améliorions la technologie.
C’est à ce moment-là qu’Electronics Magazine m’a demandé d’écrire un article pour leur 35e édition annuelle, où je devais prédire l’évolution de l’industrie des semi-conducteurs lors des dix années suivantes.
J’en ai profité pour regarder ce qui s’était passé jusqu’alors, ça devait être en 1964, je pense. J’ai repris les quelques puces que nous avions produites, et j’ai remarqué que nous étions passés d’une puce avec un seul transistor à une puce dotées d’environ huit éléments – transistors et résistances.
Les puces suivantes avaient deux fois plus d’éléments, environ 16. En laboratoire, nous étions en train de créer des puces avec environ 30 éléments, en étudiant la possibilité d’en produire qui en incluaient le double, soit environ 60. J’ai mis ces données sur du papier semi-logarithmique, en commençant par le transistor planaire de 1959, et j’ai remarqué qu’en gros, nous doublions le nombre d’éléments chaque année.
J’ai donc extrapolé, et écrit que nous allions continuer de doubler chaque année, et passer de 60 éléments à ce moment-là à 60 000 dix ans plus tard. J’essayais juste de démontrer qu’il s’agissait de la direction générale dans laquelle allaient les semi-conducteurs, et que cela donnerait un avantage considérable en termes de coûts, ce qui n’était pas tout à fait vrai à l’époque. Les premiers circuits imprimés coûtaient bien plus chers que les divers éléments nécessaires pour assembler des circuits similaires à partir de composants individuels.
Mais la tendance indiquait que cette méthode allait devenir la plus économique assez rapidement. C’était là mon véritable objectif : faire comprendre que nous avions devant nous une technologique qui rendrait l’électronique bien plus économique. Mais je ne pensais pas que l’évaluation de cette augmentation binaire, qui multipliait la complexité par plusieurs milliers, soit très précise.
Je pensais seulement qu’il ne s’agissait que d’une tendance générale. Mais elle s’est avérée bien plus précise que ce que j’avais pu anticiper. Et au bout de ces dix années, si nous n’avions effectivement pas atteint 10 doublements du nombre d’éléments sur une puce, nous en étions arrivés au moins à neuf. C’est à ce moment-là qu’un de mes collègues – je crois que c’était Carver Mead, qui enseignait à Cal Tech – a commencé à désigner ce phénomène sous le nom de « loi de Moore », un nom qui est resté au-delà de tout ce que j’aurais pu imaginer.
Q : Pensiez-vous que votre observation resterait valide pendant les 50 années suivantes ? Et combien de temps pensez-vous qu’elle restera encore valable ?
R : En 1965, puis en 1975 lorsque j’ai mis à jour ma théorie, je n’ai pas prédit de date pour la fin de cette tendance. Ce qui n’est pas une mauvaise chose, car j’aurais sans doute été très surpris ! L’industrie de l’électronique s’est avérée incroyablement créative dans la complexification des puces. Il est difficile – ou en tout cas, difficile pour moi – de réaliser qu’on parle désormais en termes de milliards de transistors sur une puce plutôt qu’en dizaines, centaines ou milliers.
C’est une technologie bien plus ouverte que ce que j’aurais pu imaginer en 1965 ou en 1975, et il n’est pas facile de savoir quand sa progression s’achèvera.
L’impact de la loi de Moore a changé avec le temps. A début, il ne s’agissait que de suivre les progrès au fur et à mesure qu’ils se produisaient. Des puces de plus en plus complexes étaient fabriquées. On pouvait alors se contenter de regarder ce qui se faisait et de se dire : effectivement, la complexité augmente encore.
Mais progressivement, cette loi est devenue une description vue par les différents acteurs comme le rythme naturel de l’innovation, qu’ils se devaient de suivre pour ne pas prendre de retard technologique. Pour rester à la pointe et continuer d’exploiter les avantages de cette technologie, il était nécessaire d’aller aussi vite que ce qui était prévu par la loi de Moore.
La loi de Moore est donc passée d’une observation de ce qui se faisait au statut de moteur pour l’industrie.
Q : Il existe plusieurs technologiques pourraient finir par remplacer le silicium dans l’informatique. Laquelle a le plus de potentiel ?
R : Je suis toujours étonné par les innovations fantastiques qui sont développées pour garder le rythme de la loi de Moore. Mais je pense que vous devriez plutôt poser la question aux gens qui travaillent en ce moment chez Intel et dans d’autres entreprises, et qui s’attèlent à cette question tous les jours.
Q : Beaucoup d’innovations ont été rendues possibles par la loi de Moore. Laquelle vous a le plus surpris ?
R : Dans l’article que j’ai écrit en 1965 pour Electronics, j’avais prédit de nombreuses applications, des montres aux ordinateurs personnels en passant par les radars à commande de phase. En relisant cet article, je reste étonné de la précision de mes prédictions. Si l’on doit parler des innovations que je n’avais pas vues venir, je pense que celle qui m’a réellement surpris, c’est l’importance d’Internet. Je savais, bien sûr, que les ordinateurs faisaient des choses très utiles. Nous savions tous qu’ils s’amélioreraient à un certain rythme. Mais je n’avais pas réalisé à quel point ils seraient importants en tant que moyen de communication à travers Internet. Je ne crois pas qu’une autre innovation soit comparable à celle-ci.
Q : Pourquoi Robert Noyce et vous avez-vous co-fondé Intel Corporation ?
R : (Extrait de l’article de 1994 de Gordon « The Accidental Entrepreneur » : « Quand Bob Noyce, qui était le candidat logique pour diriger l’entreprise mère, Fairchild Camera, a vu qu’il était écarté du poste, il a décidé de partir. Je sentais que la nouvelle direction allait probablement changer radicalement la nature de l’entreprise. J’ai alors décidé que je préférais moi aussi m’en aller avant que ces changements soient effectués, plutôt qu’attendre. Nous étions tous deux
prêts à faire quelque chose de différent. Nous voyions dans les mémoires semi-conducteurs la possibilité de fabriquer un produit d’une complexité incroyable, qui pourrait être utilisé dans tous les systèmes numériques, et qui changerait la donne en termes de coûts d’assemblage et d’intelligence dans le traitement du silicium. Nous avons lancé notre entreprise sur cette idée.»)
Q : Vous vous êtes désigné par le passé comme un « entrepreneur accidentel ». Quel serait votre conseil, aujourd’hui, pour tous ceux qui voudraient lancer leur entreprise ?
R : Je ne suis pas sûr que je sois le mieux placé pour donner des conseils. J’ai l’impression qu’il faut surtout identifier les produits, les domaines dans lesquels vous voulez faire quelque chose puis, si c’est possible, vous lancer. Il y a tellement d’entrepreneurs aujourd’hui qui font les choses dans l’autre sens… Ils décident de créer une entreprise, puis ils commencent à chercher une idée à exploiter. Certains d’entre eux réussissent très bien, vous savez, comme Google par exemple. Mais beaucoup d’entre eux ont un succès éphémère, avant d’être dépassés par les circonstances. Je suppose que le premier conseil que je donnerais aux entrepreneurs actuels ou futurs serait de rechercher comment construire une entreprise à long terme à partir de ce qu’ils veulent faire, plutôt que de rechercher le succès immédiat.
Q : Quel est votre vision de l’impact de la technologie sur la nature ?
R : Je ne connais pas l’impact global, mais je peux vous donner un exemple. La fondation que j’ai établie avec ma femme se consacre à la science et à la protection de l’environnement, ainsi qu’à d’autres domaines, et nous avons essayé de répondre aux problèmes importants pour chacun de ces sujets. En science, par exemple, nous avons cherché à aider la microbiologie marine. Les micro-organismes dans l’océan sont très divers, très importants, et très difficiles à étudier avec les technologies classiques. Mais alors qu’émergeait le séquençage du génome, nous avons décidé d’utiliser cette possibilité comme base pour la microbiologie marine, et soutenu plus d’une dizaine de scientifiques de premier plan dont le travail nous paraissait particulièrement important. Grâce à cela, nous avons fait concrètement avancer tout ce champ d’étude. Il constitue désormais un domaine majeur dans les sciences et la biologie en général, et ce développement a été accéléré, a minima, par le soutien de la fondation ; il n’aurait pas été possible autrement.
Q : Est-ce qu’Intel serait là où il en est aujourd’hui sans son rôle prépondérant dans la poursuite de la loi de Moore ?
R : Clairement non. Et lorsqu’on me demande le message que je voudrais transmettre aux salariés d’Intel, je continue de leur dire de progresser. Il existe de nombreux obstacles qui doivent être surmontés pour poursuivre l’avancée de la technologie sur ce parcours, qui s’est avéré tellement important pour Intel par le passé. Donc je leur répète toujours : gardez les yeux sur le ballon, et continuez de le faire avancer. C’est ce qui permettra à Intel de s’assurer un succès continu dans les années à venir. Continuer d’avancer. Etendre les possibilités autant que possible. Cela demande de repousser continuellement les limites.
Q : Quelle est l’importance de l’éducation pour l’industrie technologique ?
R : Je crois que le flux continu d’ingénieurs et de scientifiques bien formés est au coeur du succès d’une entreprise comme Intel. Et ce n’est possible que si nous avons des universités qui forment de véritables talents. Les bonnes idées viennent bien souvent des ingénieurs les plus jeunes, et cette tendance tend à être confirmée. Ce sont ces jeunes gens qui sont souvent les mieux préparés à effectuer des percées audacieuses et à imaginer des produits et des procédés réellement différents. Ceux d’entre nous qui sont là depuis longtemps ont tendance à croire
qu’ils ont tout vu. Du coup, nous perdons parfois notre créativité. C’est pourquoi je crois que les universités seront un facteur de succès capital dans le monde des technologies. Et de la même manière, des entreprises comme Intel seront capitales pour le succès continu des universités.
Q : Est-ce que la loi de Moore a permis à l’industrie des puces électroniques de progresser plus rapidement que cela n’aurait été le cas sans elle ?
R : L’impact de ce qu’on appelle la loi de Moore a changé au cours du temps. A début, il ne s’agissait que de suivre les progrès au fur et à mesure qu’ils se produisaient. Des puces de plus en plus complexes étaient fabriquées. On pouvait alors se contenter de regarder ce qui se faisait et se dire : effectivement, la complexité augmente encore. Mais progressivement, cette loi est devenue une description vue par les différents acteurs comme le rythme naturel de l’innovation, qu’ils se devaient de suivre pour ne pas prendre de retard technologique. Pour rester à la pointe et continuer d’exploiter les avantages de cette technologie, il était nécessaire d’aller aussi vite qu’il était prévu par la loi de Moore. Il fallait passer à des dimensions plus réduites et à des puces plus grandes, en fonction d’un calendrier dicté par cette loi. La loi de Moore est donc passée d’une observation de ce qui se faisait à un statut de moteur réel pour l’industrie. Vous deviez être au moins aussi rapide, sous peine d’être dépassé.
Q : Est-ce que la loi de Moore a une base physique fondamentale ?
R : J’essayais juste de montrer qu’il s’agissait de la direction générale dans laquelle allaient les semi-conducteurs, et qu’elle donnerait un avantage considérable en termes de coûts, ce qui n’était pas spécialement vrai à l’époque. Les premiers circuits imprimés coûtaient bien plus cher que les divers éléments nécessaires pour assembler des circuits similaires à partir de composants individuels. Mais la tendance indiquait que cette méthode allait devenir la plus économique assez rapidement. C’était là mon véritable objectif : faire passer l’idée que nous avions une technologie qui rendrait l’électronique bien plus économique. Mais je ne pensais pas que l’évaluation de cette augmentation binaire, qui multipliait par plusieurs milliers la complexité, était très précise.
Q : Pour quelle réussites voudriez-vous qu’on se souvienne de vous ?
R : Il est difficile pour moi de choisir un seul élément dont je sois le plus fier… Sans doute la fondation d’Intel a-t-elle été mon plus gros succès.
Q : A quel point la loi de Moore est-elle célèbre ?
R : Je suis toujours étonné par le nombre de fois où je tombe sur des références à la loi de Moore. J’ai d’ailleurs recherché « loi de Moore » et « loi de Murphy » sur Google, et « Moore » bat « Murphy » avec au moins deux fois plus de résultats.
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